Narbonne - Moussan : lit de l’Aude et canal de la Robine
DIACHRONIQUE [1]
A l’issue du sondage réalisée en 2008 dans le canal
de la Robine, nous avons proposé d’approcher la
sédimentation du fleuve Aude dans un secteur au
potentiel archéologique reconnu mais suffisamment
épargné par une forte influence anthropique. Le choix
s’est porté sur le lieu-dit « Moussoulens », à 8 km au
nord de Narbonne en amont de la Robine, sur la rive
gauche du fleuve Aude. Il s’agit d’un point stratégique,
où viennent se greffer au fleuve le canal de Jonction (fin
XVIIIe siècle), le canal de la Robine et, légèrement en aval,
la rivière Cesse. Plus précisément, entre le débouché
actuel de la Cesse et celui du canal de Jonction, en un
lieu occupé encore de nos jours par un ancien bac à
traille, un dragage réalisé en 1999 par Voies Navigables
de France avait arraché de gros blocs de pierre calcaire
grossièrement taillés, encore assemblés par du
mortier de chaux et issus d’une probable construction
immergée. Une prospection subaquatique du lit du
fleuve au milieu de son cours, puis le long de sa rive
gauche, nous avait permis d’observer une partie de
cet aménagement encore en place, enseveli sous une
faible couche de galets. Conformément à l’approche
géo-archéologique du système Aude / Robine initiée
depuis 1992, le programme de fouille triennal que
nous envisagions pour 2009 proposait de réaliser la
topographie du lit du fleuve ; de dégager une partie
bien conservée de la structure de façon à en assurer le
relevé ; de réaliser, à partir des berges, la prospection
des parcelles cultivées de part et d’autre du fleuve
de façon à caractériser les sites archéologiques déjà
référencés ou à déceler la présence de nouveaux.
Cette démarche, qui prendrait également en compte
les données « inter-sites » permettrait de cerner de
façon relativement précise l’emprise du colmatage
fluvial dans ce secteur ; la fouille proprement dite,
subaquatique, dans un secteur non remanié pour en
assurer ou continuer le dégagement en plan.
La première année de fouille réalisée cette année 2009,
a pris la forme de deux chantiers menés parallèlement :
un programme de prospection inventaire des terrains
localisés entre la rive droite de l’Aude et le village
de Moussan au sud ; une opération de sondage
archéologique, sur le lieu des découvertes faites en
1999.
1. Les prospections archéologiques
Pour ces trois années,
plusieurs approches
complémentaires ont été
privilégiées dans le but de
mieux cerner l’occupation
du sol sur un terrain à priori
défavorable car soumis
au recouvrement alluvial :
- la réalisation de tests de
ramassage selon une grille
théorique préalablement
établie de façon à
caractériser l’anthropisation
des terrains et indirectement
à affiner, d’un point de vue
cartographique, l’emprise du
recouvrement sédimentaire
de la basse plaine ; - la prise
en compte des éléments de
patrimoine bâti potentiels ; - la
prospection complémentaire
des sites archéologiques
recensés de façon à affiner
leurs caractéristiques ; - la
réalisation de prospections
pédestres avec pointage
« au réel » des indices
d’occupation sur des terroirs
préalablement définis.
Cette année, l’effort s’est
porté sur le terroir de
Saint-Estève. Il a permis la
mise au jour de deux sites
archéologiques inédits, l’un
de la préhistoire récente,
le second de la période
romaine. Comment expliquer
la densité de l’occupation
dans ce secteur proche du
fleuve et pourtant épargné
par le recouvrement alluvial ?
Seule la continuité des
prospections permettra de
répondre à cette question.
Parallèlement à une recherche documentaire, le
recensement du patrimoine bâti en relation avec la
navigation a également été entrepris, permettant de
mieux comprendre l’évolution de la configuration de
ce secteur à la tête de la basse plaine depuis le XIVe
siècle.
2. Le sondage archéologique subaquatique
Réalisé consécutivement à une prospection destinée
à retrouver l’emplacement des découvertes faites en
1999, le sondage subaquatique réalisé cette année a
permis de mettre en évidence 2 aménagements : le plus
récent correspond à deux architectures superposées,
matérialisant la berge nord du fleuve. Un premier état
est matérialisé par un aménagement ponctuel de
pieux dont certains régulièrement espacés munis de
cerclages métalliques (larg. envion 20 m). S’agit-il d’un
ouvrage de consolidation de berge ? D’un ponton ?
Ou de l’emplacement de l’ancien Bac de Moussan /
Sallèles ? Cet aménagement aujourd’hui immergé, qui
précède l’aménagement des écluses de la Robine, est
donc antérieur à la fin du XVIIe siècle.
Reposant sur cette architecture, un glacis maçonné
immergé de 0,80 mètres environ correspond à une
consolidation de berge, plus ou moins contemporaine
de la construction du canal de Jonction. Cette
construction démontre en tout cas un niveau d’eau
supérieur à celui du premier aménagement et
légèrement plus bas que l’actuel (8,15 m NGF).
Les sondages réalisés cette année, en rive gauche
de l’Aude, à une centaine de mètres en amont de
l’embouchure du canal de Jonction, ont finalement
permis de repérer les vestiges particulièrement arasés
d’un aménagement formé d’un chaos de blocs de
grande dimension grossièrement taillés et liés au mortier
de chaux, précédé par un double alignement de pieux
et planches plantés verticalement. L’hypothèse d’une
fonction de coffrage est plausible. Sa consolidation
serait assurée par certains pieux plantés à plus d’un
mètre de profondeur dans le lit du fleuve, les plus courts
servant à contenir l’ouvrage maçonné, son élévation
ayant été réalisée au moyen de blocs de calcaire
bruts d’extraction liés à la chaux. La destruction et
la dispersion consécutive de cette structure ont été
progressives : les crues ont sans doute joué un rôle
primordial, surtout dans la partie centrale de la rivière
où le relevé bathymétrique réalisé en fin de fouille,
révèle la présence d’une large dépression.
Quoi qu’il en soit, cet aménagement est antérieur à la
fi n du XVIIe siècle puisqu’il est recoupé par les pieux en
bois qui servent à asseoir la berge maçonnée actuelle.
L’absence presque totale de mobilier archéologique
ne permet pas d’affiner plus précisément sa datation.
Si l’existence d’une construction est largement
matérialisée, sa fonction n’est pas, pour l’instant,
déterminée. Sommes-nous en présence d’un ouvrage
de franchissement ? D’un ouvrage de type passière
destiné à orienter le fleuve et à abaisser le niveau de
l’eau ? Et s’il s’agissait des deux ?
De ce point de vue les documents collectés dans les
fonds d’archives donnent à ce secteur et à l’ouvrage
une importance capitale dès le début du XIVe siècle.
Ils font régulièrement allusion à la présence, dans la
zone proche de la fouille : d’un passage à gué ; d’un
bac ; d’un ouvrage hydraulique, la « paissière » ou
« passière », définit par l’historiographie à la fois comme
un barrage et un ouvrage de franchissement, dont
l’origine remonte au milieu du XIVe siècle. Problème
et non des moindres, ces différents éléments qui ne
sont pas contemporains, ne sont pas précisément
localisés. N’oublions pas également que ce secteur a
subi des transformations au gré des cycles de l’activité
commerciale narbonnaise, puisqu’il constitue, avec la
construction du canal du Midi et jusqu’à la construction
du canal de Jonction, un point de rupture de charge
des marchandises transitant par le port urbain.
En dépit du mauvais état de conservation de
l’ouvrage, de l’absence de mobilier archéologique,
l’aménagement qui a été repéré cette année revêt
une importance capitale pour la compréhension des
transformations paysagères qui ont pu affecter ce
secteur de tête de la basse plaine de l’Aude entre la
période médiévale et moderne.
Jean-Marie FALGUERA
Association ANTEAS
[1] Notice extraite du Bilan Scientifique 2009 du Service Régional d’Archéologie de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon