Lagrasse L’abbaye, le bourg

PROJET COLLECTIF DE RECHERCHE [1]

Après une phase préliminaire en 2007, le Projet
collectif de recherche sur l’abbaye de Lagrasse,
étudiée sous ses aspects historiques, architecturaux
et archéologiques par une équipe de chercheurs des
universités de Provence, Montpellier 3 et Toulouse 2,
est dans sa troisième année et doit se prolonger
jusqu’en 2011.

Le volet d’étude préalable, menée dans la partie
publique en 2007, a été étendu à la partie privée,
principalement à l’église et au cloître, au contact des
parties déjà étudiées (bras nord du transept, sacristie,
chapelle abbatiale) ou en cours d’étude (secteur
5, « cour sud »). Des compléments d’observation,
profitant des travaux de restauration en cours, ont
été réalisés dans le cloître, le transept et la sacristie.
Les recherches de typologie constructive et les
relevés pierre à pierre en vue de la documentation
des types d’appareil ont concerné le bras nord du
transept. L’étude préliminaire de l’église a montré
une chronologie qui couvre plusieurs siècles depuis
le XIe jusqu’au XVIIIe siècle, avec des indices indirects
pour les états antérieurs non conservés en élévation.
L’une des phases cruciales paraît avoir été le XIVe
siècle qui correspond à un moment de transformation
profonde. La situation de l’église gothique (nef-sanctuaire)
révèle une adaptation à des constructions
préexistantes dont il n’est pas aisé de restituer l’état
réel de conservation au moment de sa construction.
Si le bras sud du transept existe, la question reste
posée pour les chapelles du bras nord qui sont soit
déjà arasées soit font l’objet d’un projet architectural.
Par ailleurs, le lien entre les bras du transept, les bascôtés
et l’église gothique reste confus, de même que
l’articulation avec le cloître médiéval disparu. L’église
nécessiterait une étude approfondie, en particulier si
le décor de faux-joints dressés au ciment venait à être
ôté. Au sud, une arcature aveugle, remployant des
colonnettes et des chapiteaux, anime le mur ouest du
bras de transept et la façade du collatéral. L’hypothèse
d’enfeus est plausible, mais on ne peut évincer celle
d’un projet architectural plus important (une salle ?)
à l’époque gothique, qui rappelle les aménagements
visibles au nord, au niveau de la sacristie et de sa cour
qui fut également couverte. Le bras sud se prolongeait
au-delà de la dernière absidiole, partie détruite par le
chantier de la tour de Philippe de Lévis. A l’extérieur,
deux maçonneries ruinées suggèrent l’existence de
construction dont l’origine tout autant que la fonction
nous échappent encore.

Les problématiques soulevées par le cloître renvoient
à la grande question de l’emplacement du cloître au
Moyen Age. Elles sont, pour partie, tributaires des
questions posées par les galeries du XVIIIe siècle, fruit
de plusieurs campagnes ou œuvre clôturant la phase de
reconstruction mauriste. L’état médiéval des murs nord
et est a été confirmé par les décroûtages consécutifs aux
travaux de restauration de la couverture et par l’analyse
du revers de premier dans le secteur des écuries (secteur
5). La nouvelle configuration aligne, à l’ouest de l’église,
un escalier de desserte pris dans le volume de la salle
capitulaire dont le portail est partiellement conservé, puis
le réfectoire. Cette restructuration, autour du cloître, de
la cour et de l’avant-cour, devra être étudiée de manière
plus approfondie et avec la collaboration d’un spécialiste
de l’architecture mauriste.

L’étude du secteur 5 (« porterie-écuries-cour sud »),
amorcée dans une campagne préventive en 2007, a été
gênée par la présence d’enduits ou de rejointoiements
récents au ciment et par l’inaccessibilité de certaines
parties (salles d’accueil et d’exposition). De plus,
l’enchevêtrement des phases de construction dans
cette partie de l’abbaye (résumées à une dizaine) et
les modifications liées aux changements d’affectation
des locaux aux XIXe et XXe siècles compliquent
particulièrement leur interprétation. Contrairement aux
espérances émises en 2007 et 2008, le prolongement
des murs antérieurs à la période romane n’a été
retrouvé que dans une très petite portion, et l’étude a
confirmé que l’emploi du tuf, matériau utilisé pour les
encadrements de l’époque « préromane », n’est pas
exclusif à cette période. L’analyse a mis en évidence
plusieurs pans de bâtiments vraisemblablement
« romans », mais pas tous contemporains. Cette
chronologie très resserrée pourrait être le reflet d’un
dynamisme de la construction à cette époque, en
adéquation avec la puissance de l’abbaye, avec
l’engagement de travaux divers et peut-être des
changements de parti en cours de chantier. On
soulignera le faible nombre de portes datables du
Moyen Âge identifiées dans ce secteur, et le soin
apporté à deux portes romanes qui desservaient peut-être
déjà le cloître au moment de leur construction.
Par la suite, l’abbé Auger n’a pas laissé d’empreinte
visible dans cette partie de l’abbaye, probablement
« secondaire », ou, plus précisément, à vocation
plus utilitaire. Les constructions et remaniements se
sont poursuivis entre le XIVe et le XIXe siècle, mais la
pauvreté en éléments de décor limite les possibilités
de datation précise, seulement aidée par l’existence
d’un plan de la fin du XVIIIe siècle. Cette étude a ouvert
des questionnements qui attendent l’étude de la cour
du Palais Vieux et du logis abbatial pour trouver une
éventuelle réponse.

Les éléments en remploi dans le vestibule de la salle
basse, sous la chapelle abbatiale, relevés et observés
in situ en 2008 (BSR 2008), ont été démontés, nettoyés
et déposés dans la salle d’exposition. De nouvelles
observations ont permis de formuler des hypothèses
quant à l’origine du corps de la statue, celui du gisant
de l’abbé Auger de Gogenx dont la tête est conservée
dans la partie des chanoines, et quant à l’inscription
qui l’accompagnait dans le réemploi, connue par une
transcription du XVIIe siècle.

L’année 2010 comprendra deux volets principaux.
Elle doit permettre d’apporter un certain nombre de
compléments dans l’étude des secteurs déjà étudiés
(deux bras de transept, sacristie, dortoir, chapelle,
secteur « écuries-porterie ») soit par un suivi de travaux
de restauration en cours, dont le sol carrelé du dortoir
mauriste relevé intégralement avant travaux, soit par
des approfondissements ou des compléments qui
se sont révélés nécessaires, notamment par le biais
de sondages. La seconde partie du programme est
l’étude du dernier secteur (n° 6), correspondant à l’aile
nord du palais abbatial. Il s’agit d’un ensemble vaste et
complexe qui sera étudié collectivement. Les sondages
muraux, réalisés en 2009 dans ce secteur par Françoise
Tollon, restauratrice, se sont révélés négatifs en dehors
de la zone où quelques micro-sondages avaient déjà
révélé la présence d’enduits peints médiévaux. Enfin,
l’inventaire du lapidaire et du décor sculpté, amorcé en
2007, sera repris dans le cadre de la base de données
de la DRAC Languedoc-Roussillon, mise au service
des conservateurs des Antiquités et objets d’art.

Nelly POUSTHOMIS-DALLE
Université de Toulouse le Mirail
Pour le collectif


[1Notice extraite du Bilan Scientifique 2009 du Service Régional d’Archéologie de la Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon