Sortie 3 Bois de las Mounjos (Villarzel-du-Razès) 19 janvier 2014
Sortie lichens au Bois de las Mounjos (Villarzel-du-Razès) du 19 janvier 2014
Nous avons exploré une petite lande entourée par la chênaie à environ 370 mètres d’altitude, près du sommet de la Malepère. L’accès se fait par la D18 au niveau de la crête qui sépare le Rec Grand du ruisseau de la Combe.
Nous y avons étudié au moins 19 espèces corticoles, 6 terricoles-muscicoles et un champignon parasite de lichens. Une deuxième visite plus approfondie à permis de compléter la liste des espèces décrites.
La végétation
La lande se compose de nombreux chaméphytes héliophiles et thermophiles qui se rattachent à l’étage bioclimatique subméditerranéen : Genista scorpius, Thymus vulgaris, Thymus polytrichus, Helianthemum nummularium, Fumana ericoides, Dorycnium pentaphyllum.
Trois cistes sont également signalés : Cistus albidus (indifférent au substrat), Cistus salviifolius (faiblement acidophile) et Cistus monspeliensis (nettement acidophile).
L’acidification du substrat dériverait de la présence d’argiles de décarbonatation issues du lessivage des sols par le ruissellement de l’eau de pluie. La Bruyère arborescente (Erica arborea) y trouve bien sa place avec la Bruyère à balais (Erica scoparia), le Genêt à balais (Cytisus scoparius) et Teucrium scorodonia ; ces végétaux sont inféodés aux substrats pauvres en carbonate de calcium.
La Corroyère (Coriaria myrtifolia) et le Genêt commun ou Spartier (Spartium junceum) semblent souligner la composition marno-argileuse du substrat. Une Poacée, Bromus phoenicoides, forme des touffes qui persistent durant l’hiver.
Le manteau pré-forestier qui entoure la clairière se compose du Troène (Ligustrum vulgare), de l’Églantier (Rosa sp.), de ronces (Rubus sp.), de l’Euphorbe des bois (Euphorbia amygdaloides).
Dans la formation boisée, le Chêne vert (Quercus ilex) est dominant en peuplements denses, uniformes et assez sombres qui s’accompagnent par endroit du Chêne blanc (Quercus humilis).
Conditions écologiques
La partie sommitale de la Malepère est caractérisée par des milieux en mosaïque dominés par des taillis de chêne et des landes dérivées de la déprise agricole. Le long des versants, les milieux fermés laissent graduellement la place aux cultures : légumineuses et céréales dans le secteur sud-occidental et nord-occidental ; vignoble sur les pentes qui dominent la vallée de l’Aude.
Du point de vue de la flore lichénologique, la station est dominée par des espèces héliophiles et photophiles de l’étage mésoméditerranéen qui profitent d’une lisière préforestière abritée et bien ensoleillée. On remarque aussi des taxons indicateurs d’une certaine humidité atmosphérique, effet des entrées atlantiques et de la convergence d’influences climatiques contrastées (formation de brouillard).
DESCRIPTIF
La réorganisation actuelle de la systématique, conséquente au développement de la classification phylogénétique, à permis d’éclater le genre Collema en Rostania, Enchylium, Lathagrium.
QUESTIONS / REPONSES
Nous avons effectué la sortie avec la participation des élèves du lycée agricole Charlemagne de Carcassonne qui nous ont posé plusieurs questions. Nous essayons d’y répondre.
- Jusqu’à quelle altitude les lichens peuvent-ils vivre ?
Les lichens sont des organismes très résistants aux contraintes écologiques et climatiques ; certains supportent la sécheresse prolongée, le froid intense et la pollution. Ils colonisent des contrées normalement
défavorables à la flore dans les régions arctiques et antarctiques ainsi que les sommets des montagnes au-dessus de la limite de la végétation. Des lichens ont été récoltés à 4700 mètres sur le Mont Blanc.
Nous ne savons pas si les plus hauts sommets du monde (non recouverts par la glace) sont colonisés par des lichens. Cette réponse mériterait d’être développée.
- Y a-t-il des lichens toxiques ?
Oui. En France il y a deux espèces toxiques : Letharia vulpina qui se développe à l’étage alpin (Alpes et Pyrénées), utilisé pour empoisonner loups et renards et Vulpicida pinastri qui pousse sur les résineux (mélèzes et pins) à l’étage montagnard et subalpin.
- De quelle façon la chute des feuilles pendant l’hiver peut-elle modifier la composition des lichens ?
La composition de la flore lichénique d’un feuillu caducifolié peut différer partiellement de celle d’un feuillu à feuilles persistantes. Par exemple une forêt de Chêne pubescent permet des fluctuations de la lumière dans le sous-bois entre l’hiver et l’été, tandis que l’éclairement d’une chênaie verte est bien plus constant.
La transformation radicale et permanente d’un milieu forestier à la suite d’une coupe à blanc est responsable de l’évolution de la flore lichénique souvent dégradée en faveur de communautés photophiles.
Des perturbations répétées (coupes d’éclaircissement) ou des accidents climatiques peuvent détériorer l’ambiance forestière des anciennes forêts et induire la disparition des lichens sciaphiles et aérohygrophiles. Ces communautés, liées à un microclimat très stable, nécessitent une longue continuité forestière (humidité et luminosité constantes du sous-bois sombre et protégé par les frondes) et peuvent facilement régresser en faveur d’espèces photophiles plus résistantes aux fluctuations des conditions écologiques.
- La reproduction sexuée ressemble-t-elle à celle des champignons non lichénisés ?
Oui. Le cycle reproductif est le même, selon que le symbionte est un ascomycète ou un basidiomycète. Les lichens produisent des spores à l’intérieur de fructifications parmi lesquelles certaines ressemblent à des pézizes en miniature.
La reproduction végétative s’exprime à travers deux modalités :
- Par bouture : le dessèchement du thalle au cours de l’été favorise sa fragmentation par écrasement et donc la dispersion des fragments.
- Par clonage : la production, scission et dispersion de propagules contenant les tissus du champignon et la couche algale (isidies, schizidies, sorédies).
- Endommagent-ils les arbres sur lesquels ils se développent ?
Apparemment non. Les rhizines permettent aux espèces foliacées de s’accrocher au support sans pénétrer à l’intérieur des tissus végétaux et des cellules à la différence de certaines espèces végétales (Gui) et des champignons parasites (Polypores). Donc les lichens corticoles sont des espèces épiphytes qui se servent des écorces comme support.
Toutefois, dans les milieux humides comme les forêts tropicales, les lichens fruticuleux et foliacés peuvent envelopper complètement les arbres. Dans certains cas, nous pensons qu’ils pourraient empêcher la photosynthèse chlorophyllienne au niveau des parties vertes.
Ceci dit, il existe aussi des lichens crustacés endophléoles qui pénètrent dans l’écorce et fusionnent avec elle. Cette réponse mériterait d’être développée.
- Favorisent-ils l’érosion de la roche ?
Partiellement. Les lichens crustacés endolithiques pénètrent dans les roches carbonatées qu’ils dissolvent par le biais des acides lichéniques. La zone externe du thalle qui continue son expansion affaiblit la surface de la roche tandis que la partie centrale du lichen définitivement installé protégerait le support de l’érosion. Des expériences scientifiques sur les parois calcaires des Alpes orientales ont montré qu’après une dizaine d’année les surfaces dénudées étaient plus érodées que les surfaces lichénisées proches.
Rédaction, photogrphies, schémas : Enrico Cangini
Conseil et correction : Jean Sanègre
GLOSSAIRE
- Argile de décarbonatation (ou décarbonatée) :
argile dérivée de la dissolution du carbonate de calcium par l’eau, ce qui provoque l’accumulation de sédiments non solubles.
- Chémotype (ou race chimique) :
au sein d’une espèce, des sujets ou des populations sont parfois caractérisés par une variation des acides lichéniques métabolisés. Ils réagissent donc différemment aux réactifs chimiques (P± rouge).
- Complexe :
lichen formé par un thalle primaire foliacé (disparaissant ou persistant) et un thalle secondaire en forme de podétions ressemblant à des trompettes ou ramifiés en buisson (Cladonia).
- Fibrille :
courte ramification (filament de 3 mm
max.) qui permet d’augmenter la surface
photosensible (Usnea)
- Fovéolé :
présentant des fovéoles, c’est à dire
des dépressions sur la surface de l’axe
principal.
- Isidiofibrille :
fibrille dérivée de l’évolution d’isidiomorphes qui a développé un cordon axial (Usnea subfloridana).
- Isidiomorphe :
structure typique des Usnea ressemblant à une isidie (sans en avoir la même fonction) qui se développe à partir de la médulle et prend la forme d’une excroissance visible sur le cortex.
- Lécanorine :
apothécie dont le rebord a la couleur du thalle, apparaissant ainsi différent du disque ; typique du genre Lecanora. Il possède donc des algues.
- Lécidéine :
apothécie dépourvue de cellules algales, dont le rebord possède la même
couleur que le disque de la fructification ; typique du genre Lecidea.
- Papille :
petite protubérance sur les branches d’Usnea qui peut évoluer en sorédie.
- Pseudocyphelle :
déchirure du cortex supérieur en forme de saillie laissant entrevoir la médulle. Lieu d’origine des soralies, les pseudocyphelles permettraient des échanges gazeux avec l’atmosphère.
- Pycnide (ou conidiome) :
structure ressemblant à un périthèce et produisant des conidies par mitose (multiplication végétative). Dans les Cladonia ils sont visibles sur le rebord des scyphes ou sur les terminaisons des podétions.
ANNEXES
Utilisation (ancienne et actuelle) | Evernia prunastri | Pseudevernia furfuracea |
Embaumement et rembourrage des momies (Égypte ancienne) | Pf | |
Utilisé comme agent fermentant (Turquie, Égypte) | Ep | Pf |
Décoction contre les maladies respiratoires (Espagne) | Pf | |
Consommé sous forme de pain ou transformé en gelée (Turquie, Égypte) | Ep | Pf |
Teinture de la laine (couleur violette) | Ep | |
Fabrication de parfums (chypre ou fougère) | Ep | Pf |
Biosurveillance de la qualité de l’air (accumulation de métaux et radioéléments) | Pf | |
Tests d’allergologie | Ep |
Espèce | Réaction chimique | Reproduction végétative | Teinte de la face supérieure du thalle | Teinte de la face inférieure du thalle |
---|---|---|---|---|
Evernia prunastri | K+ jaune sur les deux faces du cortex | Soralies marginales | Vert jaune à vert gris | Blanche |
Pseudevernia prunastri | K+ jaune sur les deux faces du cortex | Isidies en forme de bâtonnets cylindriques | Gris clair à gris violacé | Claire en périphérie, noirâtre vers la base |
Genre | Thalle | Cortex | Médulle |
---|---|---|---|
Evernia | Lanières peu divisées à marges enroulées vers le bas | Face sup. différente de la face inf. blanche | Blanche |
Pseudevernia | Lanières peu divisées | Face sup. différente de la face inf. noirâtre vers la base | Blanche |
Ramalina | Lanières ± aplaties ou fusiformes, en touffe dressée ou pendante | Face inf. et sup. non différenciées | Blanche |
Usnea | Ramifications cylindriques ou subcylindriques, enflées/resserrées, en touffe dressée ou pendante | Non différencié | Blanche, jaune, rouge, rose La médulle entoure le cordon axial |
Galerie photographique
Vous pouvez également télécharger le compte rendu en format pdf en cliquant ci-dessous.