Dame Carcas, une Légende épique occitane

Voilà sept ans que Dame Carcas défend la ville de Carcassonne assiégée par Charlemagne. Sur le point de capituler, elle imagine un astucieux stratagème pour renverser la situation… Tel est le début d’une légende qui captive depuis des générations petits et grands.
Laissez-vous entraîner dans une passionnante enquête à travers le légendaire européen pour explorer les origines et le sens de cette histoire.
Suivez les traces des conquérants de l’Antiquité, des chevaliers et des troubadours du Moyen Âge sur les chemins de Saint-Jacques...
Et vous découvrirez Carcassonne d’une manière originale et inoubliable !

Un ouvrage de 300 pages richement illustrées et documentées, tout en couleur et de format 21x21 cm, est au prix de 20€ (+ frais de port).

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Vous pouvez consulter quelques pages de ce livre


Préface du Professeur Philippe Sénac de l’université Paris-Sorbonne

Le livre de Gauthier Langlois consacré à la célèbre Dame Carcas est une étude à la fois riche et foisonnante dont l’objectif vise à déterminer à quelle date se forgea cette légende épique occitane pour en suivre le devenir jusqu’à nos jours. C’était là un projet ambitieux et difficile, mais l’objectif est atteint et le lecteur est rapidement séduit par la passion qui anime l’auteur. Il s’agit en effet d’un ouvrage agréable à lire, parfaitement documenté, riche en illustrations et qui s’appuie sur de longues recherches menées au carrefour de plusieurs disciplines. Le mérite de l’auteur est donc immense d’autant qu’il nous fournit une véritable stratigraphie d’une œuvre matérialisée par la fameuse statue de la Dame à la porte de la cité, dont on apprend qu’elle pourrait en fait avoir été élevée en l’honneur de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre et sœur du roi François Ier, lors de son passage dans la ville en 1538.

L’auteur nous apprend d’abord que les plus anciennes versions de cette légende furent écrites et recueillies aux XVIe et XVIIe siècles puis il s’engage dans une enquête minutieuse en replaçant chaque thème abordé dans un contexte plus général, celui de l’Occident médiéval dans son ensemble, voire même celui de l’Europe moderne. On découvre ainsi que cette légende occitane est étroitement liée au Roman de Notre Dame de Lagrasse dont la version latine, écrite au XIIIe siècle, est connue sous le nom de Gesta Karoli Magni ad Carcassonam et Narbonam (La geste de Charlemagne à Carcassonne et Narbonne), encore citée sous le nom de Roman de Philomène. Gauthier Langlois mène ensuite une étude approfondie de l’arrière-plan historique de cette légende en rappelant que l’on ignore dans quelles conditions la ville de Carcassonne fut reprise aux musulmans. Les multiples traces de la légende dans le folklore méridional sont ensuite repérées et soigneusement analysées et tous les personnages de l’épopée carolingienne surgissent alors à tour de rôle, à la manière d’une pièce de théâtre, avec Roland, Olivier, Turpin, comme si la légende de Dame Carcas était devenue le creuset de toutes les traditions épiques du monde franc.

Après avoir mis en relation l’œuvre avec les autres légendes épiques de l’époque romane, à commencer par la Chanson de Roland, l’auteur étudie ensuite les divers stratagèmes utilisés par Dame Carcas pendant le siège de sa ville, à commencer par le cochon — n’oublions pas l’interdit alimentaire en terre d’Islam, même si le procédé est présent dans toute l’Europe occidentale depuis l’Antiquité — L’ouvrage se penche ensuite sur les personnages du récit, l’empereur Charlemagne, le mari de Dame Carcas et surtout, l’héroïne elle-même. Ce personnage féminin est alors justement associé à d’autres figures médiévales, comme Ermessende, la comtesse de Barcelone, Almodis, comtesse de Barcelone et Carcassonne, Ermessende de Carcassonne, ou encore Azalaïs, la fille du comte de Toulouse, autant d’individus qui ont pu influencer, par leur débordante activité politique ou militaire, les créateurs de Dame Carcas.

On retiendra cette conclusion : « Un faisceau d’indices concordants semble indiquer que les légendes recueillies à l’époque moderne dérivent d’une chanson de geste écrite vers le XIe ou XIIe siècle à la cour des seigneurs de Carcassonne. Selon toute vraisemblance, cette chanson de geste a été composée en occitan par un troubadour, car elle s’adressait à des laïcs imprégnés des valeurs de la courtoisie ». Et Gauthier Langlois d’ajouter qu’elle émanerait même d’une ou plusieurs chansons de geste perdues. Rien de moins probable. Plus loin, les fonctions de la légende sont bien mises en valeur : la première est de renforcer la légitimité des vicomtes de Carcassonne, de glorifier leur dynastie puis, après leur disparition, de célébrer la cité bientôt pourvue d’une administration municipale. La légende renforce également la cohésion des habitants de la ville et transmet des valeurs que l’on retrouve dans la poésie courtoise et chrétienne. À ces trois éléments vient s’en ajouter un quatrième, plus ludique, puisque le récit était destiné à distraire l’entourage de la famille des Trencavel bien étudiés par Hélène Débax.

Dans un dernier temps, l’ouvrage suit l’utilisation du personnage dans le folklore audois et plus généralement méridional : héros de bandes dessinées, de peintures, de statues, de fêtes locales, la Carcas sarrasine est devenue un emblème féministe, mais surtout le flambeau d’un midi languedocien face à une Troisième République désireuse d’imposer ses modes, sa culture et sa langue. Cet aspect me semble essentiel. Comme dans la Provence des Félibres, où la redécouverte du maure et du sarrasin était un moyen d’affirmer la spécificité d’une région face à l’emprise parisienne, la femme sarrasine, séduisante, et souvent source d’érotisme, participe à un projet politique et les multiples illustrations qui accompagnent les derniers chapitres du livre le montrent clairement. À la manière d’une occitane rebelle incarnant la résistance « de la civilisation occitane face à l’État français centralisateur », notre héroïne n’échappe pas à des fins mercantiles destinées aux touristes puisqu’elle apparaît, en tant qu’objet publicitaire, sous la forme de multiples produits ou souvenirs vendus dans les échoppes de la cité, tels que petites poupées, biscuits, tee-shirts, porte-clés, jeux de cartes… Dame Carcas devient ainsi le sceau de la ville, parfois le symbole de la cité face à la ville basse, et l’on retiendra que des journalistes n’ont pas manqué d’associer récemment une personnalité audoise à l’héroïne en célébrant sa résistance au ministre…

Toutes ces remarques m’amènent à conseiller vivement la lecture de ce livre qui invite au voyage puisqu’il conduit le lecteur de la conquête arabo-musulmane du VIIIe siècle jusqu’à nos jours, en passant par l’Espagne, la Hongrie, et même l’Algérie. On y voit un monde occitan ouvert aux influences comme si, bien avant le bas Moyen Âge et l’époque moderne, les hommes et les manuscrits circulaient de part et d’autre de la chaîne pyrénéenne, entre la vallée de l’Ebre et le Midi languedocien. Sans doute certaines interprétations proposées par l’auteur (Carcasse), en particulier dans le domaine linguistique, sont-elles difficilement vérifiables ; sans doute les pages concernant l’analyse morphologique sont-elles peu conformes au reste de l’ouvrage. En refermant le livre, on reste pourtant surpris par l’ampleur des recherches menées par l’auteur et par son souci permanent de débusquer les multiples traces de cette légende, y compris dans les mentalités. À l’image des cathares, Dame Carcas est un marqueur identitaire et son souvenir envahit le paysage languedocien. Une Jeanne d’Arc méridionale, en quelque sorte…

II ne me revient pas de porter un jugement sur le livre de Gauthier Langlois. Je ne suis ni linguiste, ni historien de l’art, encore moins ethnographe et les textes sont trop rares pour dénicher la part du réel dans la légende. J’ai toutefois été sensible à l’attention portée par l’auteur aux peintures murales du château comtal et à leur interprétation, même si une récente restauration a en partie brouillé la lisibilité de certains détails. Selon Virginie Cziernak, il pourrait s’agir d’une œuvre des années 1200 et l’on devinerait même une scène d’hommage sur l’une des fresques. Voir dans le combat opposant deux chevaliers — un chrétien et un musulman — une allusion à la présence des Trencavel lors de la Reconquista me semble pertinente. Je relève également que la participation de Charlemagne à la légende n’est effectivement guère étonnante dans la mesure où la référence à l’empereur est une donnée fréquente dans les actes de fondation de monastères ou dans les gestes épiques. Précisons l’anachronisme : bien évidemment, trop jeune, le grand souverain n’était pas là, Narbonne fut reprise par son père en 759 et Carcassonne avant cette date. La ville fut-elle assiégée ? Les sources, arabes ou latines, n’en disent mot et il est intéressant d’observer que l’obscurité la plus complète recouvre l’histoire de la cité au cours du haut Moyen Âge, à commencer par la date à laquelle elle revint aux chrétiens, sans aucun doute avant la guerre qui opposa Pépin le Bref au duc d’Aquitaine, de 761 à 768. À peine quelques sources arabes précisent-elles que la cité fut soumise au cours d’un raid survenu en 725-726, c’est-à-dire cinq ans après la défaite des musulmans devant Toulouse. Une fois soumise et pour avoir prise par les armes, Carcassonne, appelée Qarqashûnah, fut durement traitée par son conquérant arabe, l’émir Anbasa b. Suhaym al-Kalbî : l’historien Ibn al-Athîr (1160-1224) relate ainsi que les habitants durent céder la moitié de leur territoire, livrer les prisonniers musulmans et le butin qu’ils avaient fait, payer tribut, et conclure avec les musulmans une alliance. Tout au plus peut-on verser au dossier carcassonnais qu’une notice biographique du Târîkh « ulamâ » al-Andalus — L’histoire des juristes d’Espagne musulmane — d’Ibn al-Faradî (m. 1013) rapporte, mais sans aucune vraisemblance, que Mûsâ b. Nusayr étendit ses conquêtes jusqu’à la forteresse de Carcassonne où mourut son mawla Hayyân b. Abî Djabalah al-Qurashî.

Le nom de Balaach, le mari de Dame Carcas, retient encore mon attention. Loin d’être un emprunt à un personnage d’origine orientale, le nom de Balaach résulte plutôt à mon sens d’un emprunt à la Vita Hludowici Imperatoris, c’est-à-dire la Vie de l’empereur Louis le Pieux (814-840), longtemps roi d’Aquitaine. Derrière le nom de Balaach se cache en vérité le nom contracté d’un rebelle musulman de la vallée de l’Ebre, à savoir Bahlûl b. Marzûq, qui mourut en 802. La vie de l’empereur rapporte que ce chef musulman était entré en contact avec les chrétiens de l’autre versant des Pyrénées et que ses envoyés participèrent à un plaid tenu à Toulouse au cours de l’année 798 (Bahaluc Sarracenorum ducis, qui locis montuosis Aquitaniae proximis principabatur, missos pacem petentes et dona ferentes suscepit, et remisit).

Quelle que soit l’identité de l’auteur de la Légende de Dame Carcas, il ne fait aucun doute que celui-ci était un homme de grande culture et que c’est dans cette source latine qu’il pourrait y avoir puisé le nom du mari de l’héroïne qu’un scribe, quelques siècles plus tôt, avait naturellement déformé.